Serge Tisseron naît en 1948 dans la Drome. Après de brillantes études, il deviendra psychiatre, puis psychanalyste. Il s’intéresse au harcèlement scolaire et collaborera avec l’éducation nationale sur ce sujet. Un deuxième thème qui va le passionner est tout ce qui concerne les secrets de famille. Il publiera un best-seller sur ce thème : « Tintin et les secrets de famille » en 1992.
Mais c’est un autre livre, intitulé « Les secrets de famille », sur lequel je vais me pencher dans cet article.
Résumé du livre: Les secrets de famille
L’auteur nous explique d’abord la genèse d’un secret. C’est la possibilité pour un individu de faire valoir son droit à l’intimité, qu’il va exercer pour se protéger. Une personne porteuse d’un non-dit va avoir une crainte absolue, c’est sa révélation.
Tout adulte a fait l’expérience de ne pas répondre à la question d’enfant, semblant un peu trop curieux. Pourquoi cet enfant a-t-il posé cette question ? Par curiosité ? Pas vraiment, en fait il va dans sa relation intense émotionnelle, avec son parent, ressentir qu’on lui cache quelque chose, et il va alors chercher à savoir pourquoi. Il est très réceptif à toute la communication non verbale. Il percevra les moindres mimiques, expressions, variation du rythme cardiaque de son proche.
Cela change depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, les parents parlent beaucoup plus à leurs progénitures, mais il reste encore des tabous, des secrets familiaux que l’on tait.
Les secrets de famille qui perdurent vont en majorité concerner : les origines, les adultères, la parentalité, la maladie, le suicide, mais aussi les actes délictueux (vol, meurtre, pédophilie, inceste…)
Mais le porteur de secret va se trahir, par ses intonations, sa gestuelle, le choix de son vocabulaire. Tous ces signes que l’on croit invisibles et qu’un petit percevra l’amèneront à se poser des questions.
Certains mots vont devenir tabous.
Par exemple dans la famille de quelqu’un de pendu, on va éviter de parler de corde ou de ficelle.
La femme du pendu, va taire la situation à ses enfants, ne leur dira pas la vérité, pensant les protégés. Ils vont sentir qu’on leur cache quelque chose dans le comportement de leur mère. Ils vont alors ressentir 2 désirs, celui de savoir, et celui de ne pas faire souffrir leur mère. Et ils vont, en général, choisir de préserver leur mère, par amour.
Les enfants du pendu vont enfouir ce secret dans un coin de leur tête, et rester fidèles à leur mère, ne pas poser de question. Mais le poids du silence va peser sur leurs vies, leur avenir…
Puis vient la troisième génération, celle des petits-enfants. Ils vont subir cet héritage sans pouvoir le lier avec la situation initiale. Ceux-ci pourront développer des idées suicidaires à l’adolescence. Certains passeront à l’action sans aucun signe annonciateur pour l’entourage. Les proches resteront dans l’incompréhension de cet acte. Tout comportement d’autodestruction peut aussi ramener un individu à ce souvenir.
Dans tout ce processus de transmission du secret, très souvent les parents vont donner des indices aux enfants, petits-enfants, sans s’en apercevoir. Par exemple, le choix des histoires que l’on raconte aux petits, avant d’aller se coucher, va incarner ce secret. Dans notre cas du pendu, ces récits pourraient tourner autour d’une corde, du fait de se blesser volontairement. De nombreuses symbolisations, de cet acte, peuvent être imaginées. Les parents ou les enfants, en fonction de leurs propres questions, opteront pour des contes en rapport avec ce lourd passé.
Serge Tisseron nous indique que la simple révélation d’un secret ne va pas suffire pour se libérer de cette souffrance reçue. Un travail psychanalytique, afin de se détacher de ce poids, sera nécessaire, pour retrouver la sérénité.
La première chose sera d’en parler pour se libérer de la douleur que cela représente. Si c’est impossible, cela se transforme alors en trauma, qui lui se transmettra à ses descendants.
Souvent un déclencheur du secret, va faire irruption dans nos vies, dans notre présent. Celui-ci va entraîner des comportements incompréhensibles pour nous-mêmes ou notre entourage. Ce déclencheur peut-être un bruit, une odeur, une phrase.
La force des mots interdits.
L’imaginaire va être très puissant pour associer des termes.
Par exemple, « trois » et « Troyes » sont facilement assimilables inconsciemment.
Le mot « canard » peut évoquer un animal ou un journal
« Meurtrière » peut évoquer une femme qui tue quelqu’un, ou une fenêtre.
De génération en génération, l’évènement initial va alors, se transmettre par associations d’idées.
Le mot « meurtrière » pourra être relié à « créneau » qui est une ouverture en haut d’un rempart. Par ce concept, le terme « créneau », prononcer lors de l’examen de permis de conduire pourra créer un blocage inconscient pour le candidat.
Les ricochets des secrets de famille
Les secrets peuvent avoir des conséquences telles que la difficulté d’apprentissage.
Un problème en histoire ou en mathématique pourrait faire référence à un ancêtre sujet à des ennuis liés à l’argent. À l’inverse, le descendant peut développer des compétences aiguisées dans ce domaine.
Les mutismes peuvent aussi se déceler dans les maladies de façon psychosomatique. Celles-ci vont tendre à révéler le mystère, de manière symbolique. Par exemple, un enfant abandonné par un de ses parents pourra avoir un descendant, qui ne voudra pas de progéniture, ou n’arrivera pas à en avoir malgré des examens médicaux favorables.
Quand le silence devient impensable
À la 3e génération, l’enfant perçoit le malaise, mais ne peut pas le lier à sa vie personnelle. Son parent est lui-même un miroir déformant du secret de son grand-père.
Ceci peut engendrer des affections psychotiques, des défaillances mentales, de la délinquance, de la toxicomanie…
Après la troisième génération, le non-dit tend à se dissoudre, mais si ce n’est pas le cas il peut provoquer des troubles psychiques ou des déficiences physiques. Ceci pourra causer jusqu’à l’extinction de certaines lignées, sans raison apparente.
Les secrets qui vont avoir pour objectif de protéger le clan vont bien au contraire l’emporter dans une tourmente infernale.
La reconstruction
Pour se sortir de ces loyautés, s’assurer que la famille soit assez flexible, pour ne pas provoquer un choc en retour sera nécessaire.
Le porteur du secret devra être écouté, sans aucun jugement de valeur, le concernant, lui (ou son ancêtre).
Les choses devront être abordées comme des hypothèses, car on ne connaît pas forcément tous les détails de l’histoire.
Si l’on se sent victime d’un silence, la bonne attitude est de ne pas accuser l’autre. Mais de lui poser des questions : « j’ai l’impression que quelqu’un dans la famille n’a pas tout raconté… »
Pour conclure, Serge Tisseron nous explique qu’aucune vérité n’est thérapeutique. C’est l’évocation de l’existence d’un non-dit qui est important, et non pas son contenu.
Connaître les secrets de famille permet de se libérer de ces chaînes invisibles. Nous pouvons alors commencer notre propre changement.